1981, le strip-teasing culte de Myriam par Nath-Didile
Le 18 août 2011, sur Les petits dossiers des Copains d'abord

31 août 1981, dans les rues de Paris et de 6 villes de province (de plus de 500 000 habitants), 900 grandes affiches 4 par 3 montrent une magnifique jeune-fille à la peau dorée en bikini vert sur fond de mer turquoise avec pour seule légende : "Le 2 septembre, j'enlève le haut". Aucune autre indication.

Encore plus fort : le 2 septembre en question, la belle Myriam (c'est son prénom) est effectivement de retour; cette fois elle a quitté son haut de maillot de bain et montre fièrement ses seins. La phrase n'est certes pas plus explicite que la première fois mais par contre beaucoup plus "culottée" : "Le 4 septembre, j'enlève le bas".

Les passants sont surpris, intrigués, séduits ou même choqués mais une chose est sûre : l'affiche ne laisse personne indifférent.


Les médias à leur tour relaient l'événement en masse, on en parle partout et nombreux sont ceux qui attendent fébrilement le surlendemain.


Le fameux 4 septembre aux aurores, Myriam est effectivement au rendez-vous, elle est bien nue mais la photo est prise de dos et on ne voit que son joli postérieur. Cette fois un slogan et une signature apparaissent sur l'affiche : "Avenir, l'afficheur qui tient ses promesses".


Avenir venait de frapper un gros coup : relancer le marché de l'affichage publicitaire en France en démontrant qu'il était capable de changer toutes les affiches de la capitale et de 6 grandes villes françaises en une seule nuit.

La campagne remporta le Grand Prix de l'Affichage en 1982 et est devenue culte. Tout le monde s'en souvient aujourd'hui. Lequel d'entre nous n'a pas dit un jour "demain j'enlève le haut (ou le bas)" ? L'expression est passée dans le langage courant.


 

Teasing

C'est ainsi que s'appelle cette technique consistant à attirer le spectateur (ou le téléspectateur, lecteur, auditeur) par un message publicitaire en plusieurs étapes.

Dans la première phase, un message attire l'attention et suscite la curiosité du consommateur, il n'y a aucune signature, juste une énigme,

une question, un visuel. Le message suivant complète le premier, en donne l'explication et incite à la consommation.

Teasing en anglais signifie littéralement "taquinerie" mais il est plus correct de le traduire par "aguichage". D'ailleurs le mot "aguichage" est officiel depuis 1983, validé par la commission générale de terminologie et de néologie de l'Académie Française. Moi je trouve le mot désuet et je m'en tiens toujours au bon vieux teasing !

Cette technique est assez couramment utilisée mais présente quelques inconvénients, principalement de surcoûts de production, il faut prévoir en effet 2 affiches (voire plus) ou 2 spots télé et acheter ensuite tout l’espace média nécessaire à cette diffusion (le double de pages, le double de temps d'antenne etc...). L'énorme avantage étant de pouvoir attirer la curiosité et se démarquer de ses concurrents. Et quand on connait la guerre que se livrent les publicitaires, une seconde d’attention du consommateur n’a pas de prix !

Sur le même principe, Jacques Chirac a utilisé le teasing pour sa campagne RPR en 1986. Une première affiche montrait des enfants sur fond bleu regardant vers le ciel avec juste ces mots "Vivement demain…". Dans la seconde publicité, on voyait Jacques Chirac serrant contre lui les enfants avec le slogan "Vivement la France ! ...avec le RPR !". Mais bizarrement, elle a beaucoup moins marqué les esprits, allez savoir pourquoi !

 

CLM/BBDO

C'est le nom de l'agence de pub à qui on doit ce coup de maître. Notamment Philippe Michel, le président-fondateur de l'agence, un grand nom dans le milieu (il est décédé en 1993) et le binôme Joël le Berre, directeur artistique, et Pierre Berville, rédacteur (il y a toujours 2 créatifs à l'origine d'une campagne, le directeur artistique qui s'occupe du visuel et le rédacteur qui s'occupe du texte, du slogan).

L'idée choc proposée n'a pas convaincu complètement l'annonceur au départ, celui-ci trouvait en effet particulièrement risqué et très audacieux de mettre une fille nue sur tous les murs de la capitale et avait peur des retombées négatives. 

Mais une petite série de hasards bienheureux (des espaces libérés à la dernière minute) et le fait que le président d'Avenir parte à la retraite à peine 6 mois après (et que donc il ne se préoccupait pas vraiment des conséquences) eurent raison des dernières réticences et ont fait que le projet s'est finalement concrétisé.

Ci-contre à droite la couverture du livre de Pierre Berville paru en 2018 "J’enlève le haut : Les dessous de la Pub à l’âge d’or".


 

Shocking ! 

 

Le coup de pub a suscité de très vives réactions et une belle polémique à l'époque. Des associations montèrent au créneau. A Lille, l'association "Du côté des femmes" déposa plainte pour "outrage aux bonnes mœurs, atteinte à la dignité des femmes et incitation au voyeurisme". Le 5 septembre, le tribunal de Lille condamna l'afficheur à recouvrir partiellement ou totalement les affiches, à l'instigation de Pierre Mauroy, alors maire de la ville. Les passants arrachaient, parait-il, les grands carrés bleus qui avaient été collés sur les affiches par Avenir.

A Paris, l'association "Choisir la cause des femmes", dirigée par Gisèle Halimi, une avocate militante féministe, tenta de convaincre l'Assemblée Nationale de la nécessité de voter une loi antisexiste. Yvette Roudy, alors ministre socialiste des Droits de la femme, s'insurgea dans les médias contre ce qu'elle considérait être "une instrumentalisation du corps de la femme et une atteinte à sa dignité". Et Pierre Berville de réagir : "...Myriam était un pur produit de 1968, elle a une relation parfaitement saine avec son corps, la nature, un rapport totalement déculpabilisé à la nudité... Son côté sportif, mince et musclé désamorce tout le côté douteux, voire "glauque", qui pourrait être reproché à l'affiche". 


 

 

Myriam Szabo
 

Cette mannequin professionnelle n'était autre que la petite amie du photographe de la campagne, Jean-François Jonvelle (photographe de mode et de charme), elle avait remplacé au pied levé la mannequin initialement prévue à quelques jours du shooting aux Bahamas. Pour les petits coquins curieux (et je sais qu'il y en a plein parmi vous, ne niez pas !), voici ses mensurations : hauteur 1,73m, poitrine 88cm, taille 62cm, hanches 90cm , confection 38, chaussures 40 (comment ça vous n’en avez rien à faire de sa pointure ?!).

Danseuse soliste dès son plus jeune âge, Myriam a étudié de nombreuses disciplines du corps (arts martiaux, yoga, qi gong). Depuis 1981, elle a été actrice et soliste en danse en France, en Espagne et au Portugal et a participé régulièrement à des retraites  d’étude et de méditation. Elle est également productrice de festivals de danse.

A 19 ans, elle a décidé de changé de vie et de carrière, elle a décliné d’autres contrats publicitaires juteux, des rôles au cinéma et même un duo avec Michel Polnareff. Elle a même changé de nom pour prendre celui de Yumma Mudra (Yumma, comme le principe féminin, Mudra, comme la danse de l’esprit).

A l'époque, elle a atteint une bonne côte de popularité. Elle a été interviewée dans de nombreux magazines, notamment VSD ,et a posé nue (et de face cette fois !) dans le magazine "Photo" de novembre 81. A ceux qui lui demandaient s'il elle n'avait pas honte d'avoir posé nue, elle répondait avec cette jolie phrase : "L'obscénité n'est pas dans l'image mais dans l'œil de celui qui regarde". Et toc !

Ci-dessous des photos de 2011, elle est toujours aussi belle.


Ce qui est marrant c'est que son prénom n'était mentionné nulle part sur la campagne et pourtant tout le monde s'en souvient !


Magazine "ZOOM" n°84 d'octobre 1981.


 

Avenir

Si tout le monde se rappelle du prénom du mannequin, rares sont ceux qui citent spontanément le nom de l'annonceur, et c'est bien normal car ce n'était pas le grand public qui était visé lors de cette campagne mais uniquement les professionnels (les 4 500 publicitaires français et leurs annonceurs). Le quidam lui n'a retenu que l'effeuillage de la belle brunette !

Et pourtant, la campagne a largement atteint sa cible, les résultats ont même dépassé de très loin les objectifs prévus au départ et les retombées pour Avenir furent énormes.
En septembre 1981, la campagne avait déjà rapporté 2 millions de francs de publicité rédactionnelle. Tout ça pour des affiches qui ne sont restées sur les murs que 10 jours au total, quelle performance !

Tout le battage médiatique et populaire a contribué à la rendre inoubliable.

A titre personnel, j'ai toujours aimé ces publicités qui ménagent un suspens ludique, je me souviens notamment avoir découpé et gardé des pubs magazines de ce genre-là, je les appréciais particulièrement pour leur simplicité et leur ingéniosité.
Je ne me souviens malheureusement pas d'avoir vu de mes propres yeux la campagne Avenir car les affiches ne sont pas arrivées jusqu'à Angoulême où je vivais à l'époque mais j'en ai beaucoup entendu parler quand j'ai commencé à m'intéresser à la pub et que j'ai fait des formations dans ce milieu.

J'admire vraiment l'imagination et l'audace des créatifs de CLM/BBDO, ils ont tenu un pari incroyable pour relever ce défi. Et puis des fesses qui sont devenues un événement cul-turel et cul-te, franchement je trouve ça génial !

Le hasard est parfois déconcertant : au moment où je finissais d'écrire cet article (fin octobre-début novembre 2010), je suis tombée nez à nez avec cette pub affichée au coin de ma rue, à 100 mètres à peine de chez moi. C'est une campagne pour Clear Channel, un groupe de média américain spécialisé entre autre dans le mobilier urbain. Elle fait un clin d'oeil trés malin à la bonne vieille campagne Avenir, 30 ans auparavant, en montrant une jeune et belle demoiselle en maillot de bain avec ce slogan "Plus besoin d'enlever le haut pour se faire remarquer". Je n'en suis pas revenue, j'ai vite pris mon appareil photo pour l'inclure à mon article. J'ai bien fait car elle n'est restée en place qu'une semaine.

Ils sont sacrément gonflés chez Clear Channel de reprendre le même slogan et le même genre de visuel vu que ce sont les concurrents directs de JC Decaux (donc de Avenir), ça s'appelle de la chambre où je ne m'y connais pas !
 

Pour finir, voici quelques minutes d'un documentaire sur la nudité dans la pub avec des images de Myriam lors de la campagne de 1981.

 

 

2022 : Myriam revient !

Myriam, alias Yumma Mudra, la soixantaine passée. a accepté de poser à nouveau en bikini en octobre-novembre 2022, pour deux affiches en forme de clin d'œil à la campagne originelle. Cette fois, c'est la société Giraudy, 3ème acteur français de l'affichage publicitaire qui s'est chargé de la campagne.

À travers ce clin d'œil, l'afficheur voulait "rendre hommage à la publicité et à la créativité sous toutes ses formes", explique son directeur marketing Ronan Guillerm. Sauf que les temps ont changé, "aujourd'hui, Myriam n'a plus besoin de montrer ses seins ou ses fesses à la France entière pour faire le buzz." En effet, plus question aujourd'hui de montrer frontalement une poitrine nue ou un fessier dans la pub. L'Autorité de Régulation de la Professionnelle de la Publicité (ARPP) veille au grain.
"En 2022, vous ne verrez plus un téton sur une affiche", explique son directeur général Stéphane Martin. "Le corps se montre de manière plus suggérée et il faut que l'image soit en rapport avec le produit vendu, par exemple des sous-vêtements." Le corps féminin ne peut plus servir de faire-valoir. De son côté, Yumma Mudra s'est prêtée volontiers à cette nouvelle séance photo, réalisée en studio à Porto, près de chez-elle. "Étonnamment, c'était plus facile de le faire à 60 ans passés qu'à 20 ans. À l'époque, je ne me sentais pas à l'aise dans l'objectif du photographe." Elle confie aussi avoir accepté pour "essayer de comprendre pourquoi elle détestait autant le métier de mannequin à l'époque."

2022, Myriam est toujours aussi magnifique.

 

Elle enlève le haut... de l'affiche !

 

Pour info, la société Avenir a été rachetée par le groupe JCDecaux, le n°1 mondial du mobilier urbain, en 1999.

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