Super production ciné
La pub démarre en noir et blanc. Aux fenêtres d'un palace luxueux, des femmes en robes haute-couture crient leur rancœur envers un homme qu'on ne voit pas avec des airs de tragédiennes, elles le supplient de se montrer. Le film passe ensuite en couleurs, on aperçoit le bras nu de l'homme qui pose le flacon de parfum sur la balustrade de son balcon. Elles se mettent alors à scander "Égoïste" en ouvrant et fermant les volets au rythme de la musique.

Théâtral et diablement efficace. A l'époque tout le monde s'est souvenu du nom du parfum après la première diffusion à la télé. Toutes les pubs ne peuvent pas en dire autant !

"Si le film est réussi, c'est probablement parce qu'il s'inspire d'un projet personnel, en l'occurrence un film musical de 52 minutes destiné à une chaîne de télévision. Inspiré par Farida, ma compagne à l'époque, qui avait écrit un poème extraordinaire intitulé "La Femme au nez coupé", le projet chroniquait un fait divers particulièrement dramatique dont elle avait été le témoin lorsqu'elle habitait encore aux Minguettes à Lyon : un macho ivre de jalousie avait coupé le nez de sa femme bien-aimée pour la punir de son infidélité. Penchées aux fenêtres de leur HLM, des ménagères d'origine maghrébines, témoins de la tragédie, insultaient le criminel tout en claquant les volets sur le rythme de la musique ambiante.
Le projet TV Farida étant malheureusement mort aussi vite que je l'avais présenté, je l'ai ressuscité pour Egoïste en substituant nos Maghrébines à une cohorte de top-modèles en colère penchés aux balcons d'un palace de La Riviera pour dénoncer l'égoïsme masculin. Le film fut tourné à 10 kilomètres de Rio, en rase campagne, dans un décor de cinéma entièrement reconstitué à l'image du Carlton de Cannes. Pas question à l'époque de trucages sur ordinateur, donc très peu de postproduction. A ce titre, Egoïste reste sans doute le dernier film publicitaire d'une époque et mon bref-métrage préféré".
Making of
Digne d'une super-production cinématographique, la pub a nécessité la construction d'une reproduction de l'hotel Carlton à Cannes en plein désert brésilien. Pour cela, Jean-Paul Goude a fait appel à Michel Rose (en collaboration avec Yves Bernard), un décorateur-scénographe qui a beaucoup travaillé avec lui, notamment pour les pub Dim, EDF, Club Med etc...
Trois cents ouvriers se sont attelés à la construction du palace en stuc pendant près de quatre semaines.
Ci-dessous à gauche le vrai Carlton, à droite la reproduction de la pub, bluffant !

Ici le dessin préparatoire pour le bâtiment et le story-board :

Ci-dessous en haut à gauche la maquette préparatoire puis au fond la construction de la structure grandeur nature.

Bien sûr la structure n'est qu'un mur, Michel Rose n'a pas reproduit tout le bâtiment.

Pendant le tournage :

La musique sophistiquée et rythmée est un extrait de "Romeo et Juliette", ballet pour orchestre symphonique du compositeur russe Sergei Prokofiev (1935). Le morceau s'appelle "La Danse des chevaliers" (Acte 1, scène 13), il va crescendo et souligne bien l'intensité dramatique du film.
Quant au texte, qui monte également en puissance, il parodie "Le Cid" de Corneille.
"Égoïste.
Où es-tu ?
Montre-toi misérable !
Prends garde à mon courroux, je serai implacable.
Ô rage !
Ô désespoir !
Ô mon amour trahi !
N'ai-je donc tant vécu que pour cette infamie ?
Montre-toi, égoïste !"

Voici la vraie tirade de don Diègue dans "Le Cid" (Acte 1, Scène 4)
"O rage ! ô désespoir ! ô vieillesse ennemie !
N'ai-je donc tant vécu que pour cette infamie ?"
Tout y est pour montrer le côté mélodramatique : des femmes hystériques qui semblent souffrir à cause du même homme, des cris, des pleurs, du désespoir, le tout souligné par le noir et blanc.

Les types de plan utilisés par le réalisateur sont très variés et suivent la logique du récit : on passe du très gros plan (l'œil qui pleure) au gros plan, puis au plan rapproché pour arriver à un plan d’ensemble pour l'image finale (le bâtiment entier avec des voitures qui passent devant).
Voici donc le spot de 30 secondes (j'ai pris la version anglaise dont l'image et le son sont de bien meilleure qualité) :
Et voici le making of :
Jean-Paul Goude obtint un Lion d'or à Cannes lors du festival international de la publicité en 1990 pour cette campagne avant de récidiver pour Chanel l'année d'après pour le parfum Coco avec Vanessa Paradis.
On est donc en 1990 et sur le plateau de l'émission "Nulle Part Ailleurs" présentée par Philippe Gildas, il y a un chroniqueur que j'adore : Jérôme Bonaldi. Je regardais déjà ses interventions dans l'émission "Direct" toujours présentée


25 ans plus tard, j'ai toujours ce disque, je l'ai écouté un nombre incalculable de fois depuis.