Quand j'étais petite, j'avais deux préoccupations majeures avec mon Télécran :
1) arriver à faire un toit de maison oblique et bien droit.
2) essayer de comprendre comment il fonctionnait à l'intérieur.
Bon je n'ai jamais réussi à faire un toit parfaitement droit malgré un nombre incalculable d'essais, mais j'étais fière d'avoir réussi à percer le mystère du fonctionnement de l'engin à force de patience !
Invention
L'écran magique, appelé également ardoise magique, a été inventé le 23 juillet 1959 par André Cassagnes, un électricien vivant à Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne). Il avait constaté que la poudre d'aluminium utilisée par la compagnie qui l'employait dans son processus de fabrication (une petite société de décoration d'intérieur) possédait la caractéristique d'adhérer au verre en lui donnant un aspect métallisé et qu'on pouvait ensuite y faire des dessins à l'aide d'un stylet en grattant la poudre.
Il comprit qu'il suffisait de construire un boitier rectangulaire vitré en emprisonnant cette poudre d’aluminium et de dessiner sur l'envers de la vitre puis de retourner l’objet en le secouant pour redisposer cette poudre sur le verre, effaçant ainsi les traits.
La machine à dessin mécanique était née !

Il présenta son invention pour la première fois à une foire aux jeux à Nuremberg en Allemagne en 1959. La firme américaine Ohio Art Company l'y repéra et lui acheta les droits pour 25 000 dollars.
Elle coopéra ensuite avec lui pour construire la version définitive du jouet qui fut appelé Etch A Sketch (qu'on peut traduire en gros par "grave un croquis") et commercialisé à partir de 1960 aux Etats-Unis puis dans le monde entier.
Ci-dessos une boîte originale du Etch A Sketch et ci-dessous une publicité de 1960.

En France
Chez nous le jouet a été distribué à partir de 1960 sous le nom Télécran par la société des Jouets Rationnels (JR). Il coûtait alors 27,50 Francs (4,20€).
Ci-dessous la boîte du Télécran et à droite une publicité de 1960.
Les Jouets Rationnels ont fusionné en 1969 avec la société de jouets Joustra qui a elle-même été rachetée par la Compagnie Financière Edmond de Rothschild. Elle y sera regroupée en 1973 avec d'autres marques dans la Compagnie Générale du Jouet (Ceji). Ceji coula en 1985 mais Joustra continua de produire des jouets. Tout le monde a suivi ?
Ces différents rachats et fusions expliquent le fait qu'on pouvait trouver des Télécran de différentes marques entre 1960 et 1985 : JR, Joustra, Ceji et Interlude (filiale de CEJI).
Aujourd'hui on peut encore trouver des Télécran de marque Joustra et Mattel.
Ci-dessous, des Télécran JR, Interlude et Ceji.

De 1960 à 1964, les Télécran avaient une production mensuelle de 1 000 à 3 000 exemplaires, atteignant jusqu'à 25 000 unités à la fin des années 60. A cette époque, il se vendait en moyenne 33 000 Télécran par an en France.
Il s'est écoulé à ce jour plus de 100 millions d'exemplaires dans le monde !
Petite anecdote : sur la photo intérieure de la première boîte du jouet (ci-dessous), on peut voir les enfants et la nièce du patron de la société des Jouets Rationnels, Philippe Mayer, ainsi qu'un salarié de l'agence publicitaire. Cette image sera utilisée pendant de nombreuses années sur les packagings.

Le jouet était vendu avec une série de modèles et caches transparents pour aider à dessiner.
Dans les années 80, Ceji proposait des cassettes qui se posaient sur l'écran afin de proposer des jeux supplémentaires de parcours et labyrinthes. Il fallait tourner la molette en haut de la cassette pour faire apparaître les différents panneaux de jeu.

Pour information, André Cassagnes n'avait pas les moyens de payer le dépôt de brevet de son invention, il a dû emprunter l'argent à un investisseur. C'est ainsi que sur le brevet du Télécran, il y a le nom de Arthur Granjean, le comptable de l'investisseur, un certain Paul Chaze qui a spolié André Cassagnes.
Celui-ci est décédé le 16 janvier 2013 à l'âge de 86 ans après une vie d'inventions bien remplie, il est en effet également à l'origine de très nombreux prototypes de cerfs-volants.
De jolies images d'époque avec des enfants qui jouent à Télécran.



Fonctionnement
Autour de mes 7-8 ans, quand j'ai eu mon Télécran, j'avais cherché à en connaitre le secret du fonctionnement comme je l'ai dit en introduction.
J'avais bien essayé de l'ouvrir en soulevant légèrement un côté et en faisant levier avec une paire de ciseaux, mais à part me pincer les doigts je n'y étais pas arrivée (et heureusement car sinon mon jouet aurait été cassé).

A force de dessiner avec, j'avais deviné que le trait noir créé par les boutons était en fait une trace laissée par une pointe juste en dessous de la vitre.
Depuis cet instant, mon occupation favorite a été de dégager un maximum de poudre dorée afin de voir comment c'était fait en dessous. Je me souviens bien que j'avais mal au pouce et à l'index à force de triturer les deux boutons dans tous les sens pour mener à bien cette opération ! Mais c'est grâce à cet acharnement que j'ai pu voir qu'il y avait une sorte de petite pointe grise au croisement de deux tiges qui étaient actionnées par les boutons (ça avait l'air d'être une petite éponge conique). Ma curiosité était satisfaite et surtout quelle fierté d'avoir percé le secret du jouet ! Je l'ai refait de nombreuses fois par la suite, ça m'amusait autant, voire plus, que de faire des dessins.
Ci-dessus, le Télécran que j'ai sans doute eu à l'époque, c'est celui que j'ai racheté depuis (à vrai dire, j'ai du mal à me souvenir si j'ai eu un JR ou un Ceji).
Il y a quelques mois, j'ai pu trouver un Télécran en mauvais état ce qui m'a permis de l'ouvrir pour ENFIN voir l'intérieur de l'engin. J'étais très contente, depuis le temps que j'en rêvais ! Ca n'a pas été sans mal, le boitier est en effet très fortement scellé et j'ai eu beaucoup de difficulté à le casser pour pouvoir l'ouvrir.
A l'intérieur il y a donc deux tiges en métal disposées à angle droit, une horizontale et une verticale, qui sont actionnées par des fils en nylon attachés aux deux boutons blancs sur la face avant du jouet. Au croisement des tiges se trouve un petit cône pointu qui peut donc coulisser sur les deux tiges et qui est collé à la surface vitrée. Lorsqu'on tourne les boutons, on déplace les tiges et donc le stylet de traçage qui gratte la pellicule de poudre collée sur la vitre et forme ainsi un trait noir d'apparence (mais qui est en fait transparent, c'est l'absence de poudre qui donne cette impression).
Le fait de secouer le jouet à l’envers remet de la poudre sur l’écran à l'aide de centaine de mini-billes (en métal ?) qui permettent une adhérence uniforme entre la poudre et la surface translucide et donc efface le dessin en rendant l'écran opaque.
Je ne sais pas si cette poudre dorée a des propriétés électro-statiques mais en tout cas elle est bigrement envahissante quand on a le malheur d'y toucher. Voyant que j'en avais partout sur les mains, j'en ai profité pour me faire une belle paire de gants dorés, ce qui m'a immédiatement fait penser à la James Bond Girl dans "Goldfinger" !
Ci-dessous le dessin du brevet pour le Télécran qui date du 25 septembre 1952 (avec le nom d'Arthur Granjean et non d'André Cassagnes comme je l'ai expliqué plus haut) qui montre le fonctionnement de l'appareil.
Autour du Télécran
Il y a eu d'autres formes d'ardoise magique dans les années 80, notamment cette jolie sphère et le SkeDoodle dont je me souviens bien des pubs et qui me semblait vraiment chouette avec ses pochoirs qui permettaient de faire des dessins automatiquement.
De nombreux artistes ont créé de magnifiques dessins grâce au Télécran/Etch A Sketch. En voici un petit échantillon. Ils ont toute mon admiration, quel talent et quelle patience !
Mes amis d'Osibo ont parlé d'Etcha, un artiste très doué, à voir ICI.
Les films d'animation "Toy Story" (1996) et "Toy story 2" (2000) ont contribué à remettre le jouet à la mode. Il parait que cela a eu un vrai impact sur les ventes à l'époque.
Il existe des coques pour ipad et téléphone portable qui permettent de customiser son écran
Il y a même des applications en flash pour dessiner comme sur le jouet !
Vous pourrez dessiner sur un Télécran virtuel depuis votre PC avec cette animation en flash ICI. Il suffit de cliquer sur "Start" et de faire des traits avec les flèches directionnelles de votre clavier.
Voici une photo insolite des Beatles à Paris en 1965 avec Georges Harrisson tenant en main un Télécran JR, marrant !


Ci-contre un pin's que j'ai découvert un jour par hasard en vide-grenier.
Le télécran est un jouet que j'ai beaucoup utilisé, le fait qu'il n'avait pas besoin de piles et qu'il était très résistant aux chocs permettait de le garder longtemps. De plus il n'était pas très cher, à peine 60 francs à la fin des années 70 (un peu moins de 10€) et on pouvait y jouer dès 4 ans.
Il avait également des vertus pédagogiques et à ce titre il était même "recommandé par le ministère de l'éducation" comme indiqué sur la boite. Il développait en effet la coordination manuelle, la concentration et l'imagination créative.
Il avait également obtenu l'oscar du meilleur jouet.
Son seul gros inconvénient venait du fait qu'il était très compliqué d'exécuter des dessins vraiment satisfaisants, surtout si on voulait faire des courbes et des obliques. De plus il suffisait de déraper un peu et de faire une erreur pour ruiner complètement le dessin qu'on venait patiemment de faire, donnant ainsi une irrésistible envie d'envoyer valdinguer l'engin à l'autre bout de la pièce !
Pour finir, voici une belle photo à l'ambiance purement 70's que j'aime beaucoup, elle était sur le packaging intérieur d'une boîte Ceji.
Et deux publicités télé de 1979 (avec la musique du film "La Scoumoune" par François de Roubaix) et 1981 (il faudra qu'on m'explique comment ils ont fait le rond parfait !) :