Symbole à l'origine de révolte et de liberté, porté par les motards et les rockeurs rebelles, le perfecto s'est démocratisé en devenant un vrai phénomène de société dans les années 80. La carapace de cuir a survécu à toute les modes et a traversé toutes les décennies sans jamais vieillir.
Histoire de famille
Le Perfecto a été créé par la firme américaine Schott (ça se prononce "chott" et pas "skott"), initialement dédiée à la création de vêtements de pluie et fondée à New York par Irving et son frère Jack, en 1913.
Irving, grand passionné de moto, a dessiné et créé le blouson en 1928 pour assurer la sécurité des motards en cas de chute, à la demande de Beck Distributors, un revendeur Harley-Davidson installé à Long Island.
Le modèle tient son nom de la marque de cigares cubains préférée de Irving Schott, la même que celle de Groucho Marx ou Winston Churchill : le Perfecto.
A l'origine en cuir de cheval, il a été fabriqué en cuir de boeuf à partir des années 1960, puis en vachette à partir de 1977, un cuir beaucoup plus souple et donc moins adapté à la moto.
Irving est au centre, entouré de ses enfants et petits-enfants qui ont repris les rênes de l'entreprise. Il est décédé en 1992, quelques mois avant son 100ème anniversaire. Ci-dessous, photo de la famille Schott dans les années 80.
Conception
A mille lieues de penser qu'il deviendrait un jour un phénomène de mode, Irving Schott avait avant tout pensé à la sécurité et au confort des motards en créant son modèle.
Il l'a donc conçu avec :
- une fermeture à glissière, posée en décalé sur le devant, doublant ainsi l'épaisseur de cuir pour mieux protéger le torse.
La fermeture à glissière était révolutionnaire à l'époque, elle n'avait été inventée que 15 ans auparavant (1913). Irving Schott a d'ailleurs été le premier fabricant de vêtements à coudre une fermeture éclair sur un blouson.
- des fermetures à glissière également au bas des manches afin d’ajuster ces dernières et d’éviter que l’air ne s’y engouffre. Et des soufflets d'aisance sous les bras pour la fluidité des mouvements.
- des boutons pressions permettant de fixer et rabattre le col pour se protéger du vent à grande vitesse.
- une ceinture à boucle assurant un ajustement à la taille et évitant ainsi au froid de pénétrer par dessous. Elle est fixée au dos par un empiècement qui maintient le blouson bien en place sur les reins.
- quatre poches avec fermetures à glissière. Dont deux sur les hanches, une sur la poitrine avec une petite chaînette, permettant de l'ouvrir sans avoir à enlever ses gants. Et une petite poche avec rabat et bouton-pression pour les pièces de monnaie.
Blouson de légende
Dans les années 1950 et 1960, le blouson a été porté par des légendes d’Hollywood. La plus emblématique est Marlon Brando dans "L’équipée sauvage". Le film a suscité l’engouement des jeunes rebelles à sa sortie, en 1953, et les ventes de blousons de cuir noir et de motos ont explosé.
Le fameux modèle 618 que porte Marlon Brando dans le film est très semblable à l’original (le modèle 613 de 1928). Il comporte une étoile sur l’épaulette, raison pour laquelle cette génération de Perfecto est surnommée "One Star", le modèle collector par excellence.
De son côté, James Dean, icône de toute une génération, portait à la ville notamment un modèle de la Highway Patrol (police des autoroutes) des États de Californie et de New York. Des policiers avec un blouson symbole de rébellion, plutôt insolite !
Lorsque le passionné de vitesse est décédé tragiquement au volant de son bolide à l'âge de 24 ans, en 1955, le Perfecto est devenu un vêtement encore plus iconique.
A peu près au même moment, le rock’n roll commençait à balancer ses décibels sur les sonos. Avec le nouveau style musical sont apparus les codes vestimentaires des bad boys du rock : jean, t-shirt uni, blouson en cuir avec la fameuse coiffure "banane" gominée.
Ci-dessous, en 1956, Elvis Presley pose en photo avec le fameux blouson pour la couverture du magazine "The Enthusiast" qui mettait en avant la nouvelle Harley-Davidson KH.
Cependant cette popularité croissante du Perfecto finit par entraîner la baisse de ses ventes à cause de son image associée aux voyous. Le blouson de cuir fut même banni des écoles américaines et anglaises durant plusieurs décennies.
70's : rebelle, punk, rock
Mis de côté par la mode hippie et le Flower Power de la fin des années 60 et du début des années 70, le perfecto a pris sa revanche à la fin des seventies en devenant l'emblème par excellence du rock et du punk. Un signe de ralliement aux mouvements contestataires qui passait par une redéfinition des codes esthétiques.
Les Ramones (aux Etats-Unis), les Sex Pistols et les Clash (au Royaume-Uni) en ont fait leur uniforme, donnant au blouson une seconde jeunesse.
Ci-dessous Les Ramones, les Sex Pistols (avec Sid Vicious) et les Clash.
Les rockeuses n'étaient pas en reste, Debbie Harry (Blondie), Joan Jett, Patti Smith et Pat Benatar portaient aussi fièrement le Perfecto.
De leur côté, les jeunes punks l'ont customisé en version "destroy" pour se différencier du style rock'n'roll. Il était usé, râpé, peint puis décoré avec des clous, des chaines, des badges, des têtes de mort et des épingles à nourrices, bref aussi personnalisé que possible.
L'arrivée en France
C'est en 1972 que le Perfecto débarqua dans l’hexagone, grâce à Joseph et Maurice Jablonski. Les deux frères, à la tête du Groupe JaJ, avaient déjà importé les fameux jeans Levi's en 1958. Ils décrochèrent auprès des frères Schott la distribution exclusive du Perfecto en France.
Les vêtements en cuir ont toujours eu mauvaise réputation chez nous. Dans les années 50-60, les fameux "blousons noirs" semaient le trouble et défrayaient la chronique. Ces jeunes voyous en mobylettes, peu fréquentables (d’après les parents) attiraient irrésistiblement les jeunes-filles.
Le Perfecto, comme en Angleterre ou aux Etats-Unis, était formellement interdit dans les collèges et les lycées car associé à la délinquance. Et quiconque en portait était immédiatement renvoyé de l'établissement.
C'est dans ce climat qu'est né le rock français au début des années 60 avec entre autres Johnny Hallyday, Eddy Mitchell (Chaussettes Noires), Dick Rivers (Chats Sauvages) et Vince Taylor. Ils étaient souvent vêtus de cuir (et même des pieds à la tête pour Vince Taylor).
Bien des années aprés, en 1975, quand Renaud chantait la banlieue et la révolte sociale en mode loubard avec son perfecto (et plus tard avec son bandana rouge), il y avait toujours de la rage et de la rébellion mais aussi beaucoup de poésie et de tendresse. C'était devenu un phénomène culturel.
Icône de mode 80's
Au début des années pop, le perfecto traîne toujours cette image de vêtement pour les rebelles, mais même s'il est encore un signe de marginalité, il se démocratise progressivement et connait un succès de plus en plus fulgurant durant la décennie grâce aux symboles qu'il véhicule : séduction, liberté, anticonformisme.
Entre 1985 et 1990, Schott vend plus de 30 000 Perfecto par an uniquement sur notre territoire.
Les différentes déclinaisons du "perf", comme on l'appelait, apparaissent partout et toutes les stars le portent, les metalleux et les rockeurs bien sûr, mais aussi les chanteurs de variété.
Sur la couverture du magazine Top 50 en 1988, tout le monde est en Perfecto : Bros, Gianna Nanini et Yazz en sur-blouson sans manche.
Le Perfecto était décliné sous toutes les formes et couleurs dans les 80's. Les stars le portaient en version similicuir, courte, avec des franges, des clous, des empiècements léopard, en rouge, blanc, bleu, etc ...
Les stars 80's en France
Jean-Luc Lahaye était fan du célèbre blouson depuis ses 13 ans. On apprend qu'il en faisait même la collection dans la double page ci-dessous issue du Télé 7 jours du 23 juin 1990 (à l'occasion de la diffusion d'un reportage sur Tf1).
Le magazine explique qu'en 1990, 300 000 Perfecto sortaient chaque année de l'usine Schott et qu'un blouson coûtait 2 500 francs (590€ actuels en tenant compte de l'inflation).
(Cliquez pour voir en plus grand)
D'autres stars francophones.
Cloclo sur un poster du magazine Podium en 1979. Pas vraiment son style !
On se souvient tous de Coluche dans son sketch du blouson noir : "On fait pas de mal, merde ! On est une bande de jeunes, on se fend la gueule."
Yves Mourousi, provocateur, en perfecto et casque de chantier sur le plateau du journal de 13h pour marquer la privatisation de TF1, le 16 avril 1987.
Le présentateur n'en était pas à son coup d'essai : le 20 Janvier 1984, dans l'émission "Carnaval", il avait fait une parodie du JT en perf', toujours avec Marie-Laure Augry.
Le perfecto, c'est aussi l'uniforme de Lucien, le loubard de la BD de Frank Margerin. Jean, santiags, perfecto et banane XXL, tout l'attirail.
Même accoutrement pour Didier l'embrouille (Antoine de Caunes dans "Nulle part ailleurs").
Couverture du magazine "Top sentier" en 1988, une parodie des Nuls, clin d'œil à "Qu'est-ce que tu vends pour les vacances" de David et Bensoussan (issue de "Les Nuls, le livre").
Ci-dessous, un petit "dur" dans une pub pour le chocolat Poulain en 1983.
Et ici une pub pour la ligne junior des laques Schwarzkopf en 1988.
Le perf' fait son cinéma
Quand on pense au perfecto, on a en tête les images de certains personnages emblématiques du cinéma.
En 1974, dans "Les Mains dans les poches" (The Lords of Flatbush), les membres du gang portent tous un Perfecto : Sylvester Stallone, Perry King et Henry Winkler.
Ce dernier jouait aussi Fonzie dans "Happy days", toujours affublé d'un cuir (mais pas un Perfecto). Le personnage du film influença fortement sa composition d'acteur pour la série.
En 1976, Louis de Funès porte d'une manière insolite un Perfecto clouté dans "L'aile ou la cuisse".
En 1978, Danny Zuko (John Travolta) et sa bande des T-Birds friment avec leur Perfecto dans "Grease".
Quant à Sandy (Olivia Newton-John), elle est sexy en diable avec son mini Perfecto à doublure rouge.
"Mad Max", en 1979 (et ses suites en 1981 et 1985), porte une version plus trash du célèbre blouson dans un futur post-apocalyptique.
Al Pacino dans "La Chasse" ("Cruising") en 1980.
Les filles aussi portent le célèbre blouson dans des films : Agnés Soral dans "Tchao Pantin" en 1983 et Emmanuelle Seignier dans "Frantic" en 1988.
En 1984, le duo des "Ripoux", Philippe Noiret et Thierry Lhermitte en cuir.
Toujours en 1984, dans "Pinot, simple flic" Gérard Jugnot arrête la jeune voyou Marie-Lou (Fanny Bastien).
En 1985, le Perfecto est l'uniforme de "Terminator".
Dans "Terminator 2", en 1991, le cyborg vole le blouson à un motard dans une salle de billard dès le début du film.
En 1987, dans "Dirty dancing", Bébé craque pour le sexy Johnny.
En 1989, dans "Retour vers le futur 2", lorsque Marty débarque pour la seconde fois en 1955, il porte un chapeau et un Perfecto pour passer inaperçu et récupérer le fameux almanach.
"Cry-Baby" (1990) avec Johnny Depp en bad boy craquant.
Sur le petit écran
Evidemment les vedettes de télé n'ont pas échappé au phénomène à la fin des années 80 et au début des 90's.
Perfecto en jean
Pour ceux qui n'avaient pas les moyens de se payer un perfecto en cuir, il y avait la version en jean, bleue ou noire.
Moi j'ai eu la version noire matelassée, autour de 1985-86, j'avais 15 ans.
Ci-dessous une publicité pour la Caisse d'Epargne en 1983.
Serge Gainsbourg.
Les metalleux, qu'on appelait "hardos" à l'époque, portaient un blouson en jean sans manche sur leur perfecto en cuir, ça leur permettait d'y accrocher des badges et des patchs en tissu aux couleurs de leurs groupes préférés ou d'y dessiner au marqueur.
Bernie Bonvoisin et le groupe Trust.
90's renaissance d'un mythe
Dans les années 90, le cuir se vendant moins bien à cause de la crise, Joseph Jablonski (qui avait importé le Perfecto en 1972 en France) obtint en 1987 une nouvelle fois une licence de Schott pour produire un blouson plus abordable : le Bombers.
Mais le Perfecto n'avait pas dit son dernier mot. En 1991, lorsque le photographe Peter Lindbergh shoota pour Vogue les mannequins stars de l'époque avec le mythique blouson, celui-ci revint sur le devant de la scène.
Ci-dessous, la splendide "brochette" de top-models : Cindy Crawford, Tatjana Patitz, Helena Christensen, Linda Evangelista, Claudia Schiffer, Naomi Campbell, Karen Mulder et Stephanie Seymour.
Toutes les marques de prêt-à-porter ont ensuite proposé leur version du Perfecto et les plus grands créateurs l'ont mis sur leur podium. On connait la suite...
Aujourd’hui le Perfecto, débarassé de cette connotation rebelle, est devenu un vêtement de mode intemporel.
Ci-dessous, la panthère rose et le chimpanzé emblématique de LC Waïkiki.
Mon Perfecto
En 1991, mon petit ami (et futur mari quelques années plus tard) m'a offert le blouson dont je rêvais pour mes 21 ans. Il l'avait acheté au Carreau du Temple à Paris, haut lieu de la fripe, emblématique pour ses cuirs (et qui a fermé en 2009).
J'étais aux anges d'avoir ce fameux blouson ! Je l'ai beaucoup porté à l'époque.
A chaque fois que je l'enfilais, j'avais l'impression de prendre une bonne dose de confiance en moi sur les épaules.
Ci-dessous en 1991, à 21 ans. Photo faite par mon compagnon, photographe de métier, pour un magazine, sur le thème de la musique.
1992. J'avais mis une grosse broche en métal en forme d'aigle sur le revers du col. Et je portais mon perf avec des santiags, très à la mode à l'époque.
J'ai gardé la planche contact de la séance photo correspondant à l'image ci-dessus à gauche. Rock'n roll attitude avec un doigt d'honneur et en train de regarder une double page dénudée dans un "Newlook".